Rares sont les voyageurs qui ont vu les Îles-de-la-Madeleine en hiver. Destination estivale convoitée par les Québécois, les Îles sont désertées par les touristes en hiver. Mais, ce n’est pas parce que l’archipel perd soudainement tout intérêt. L’environnement insulaire se transforme radicalement et la nature devient aussi spectaculaire qu’imprévisible…
Le samedi 11 février dernier, une pluie de glace couche environ 250 des plus grands arbres de l’archipel… les poteaux électriques! Plus de 2500 abonnés d’Hydro-Québec se retrouvent sans électricité. Une grande toile de solidarité se tisse très rapidement entre les Madelinots et le reste du Québec.
Il aura heureusement suffi d’une semaine à peine pour que cette nouvelle crise du verglas passe à l’histoire. Déjà, Tante Emma (la Sagouine des Îles) l’a intégrée à ses monologues : «Les poteaux électriques? Fallait s’y attendre, depuis le temps qu’ils ne tenaient que par un fil», lance-t-elle. «Ç’aurait pu être pire, heureusement qu’ils sont tombés sur du bon monde.»
Le samedi suivant la tempête, un groupe de motoneigistes s’embarque sur le traversier, le CTMA Voyageur, en direction de Cap-aux-Meules. Depuis déjà quelques mois, ils ont répondu positivement à l’invitation des Madelinots à se joindre à eux pour le Festival de motoneige du club de l’Île-du-Havre-Aubert. Toutefois, à l’embarquement, l’ambiance est plutôt à l’inquiétude. Le manque de neige aux Îles est criant et la glace ajoute au désastre anticipé. Mais le président du club, Michel Chiasson, s’est montré tellement persuasif qu’il a réussi à contrecarrer toutes les velléités d’annulation. Il en a toutefois gros sur les bras à la veille de l’arrivée des touristes à motoneige. Et il le sait…
C’est à ce moment précis que le ciel, qui avait déjà suffisamment frappé les Madelinots, s’est fait complice et a décidé de se faire pardonner en déchargeant plus de 20 centimètres de belle neige toute neuve sur l’archipel. La fête pouvait enfin commencer!
Croisière avec glace
La navigation hivernale entre Matane et les Îles-de-la-Madeleine constitue à elle seule une aventure marquante. Moins d’une quinzaine de passagers prennent place à bord du Voyageur. Ils sont servis par un personnel exceptionnellement attentif qui devance leurs besoins durant les 24 heures et plus que dure la traversée. Le confort est rudimentaire, mais on l’oublie devant la pizza aux fruits de mer surmontée d’une montagne de gros pétoncles, de crevettes et de pinces de homard.
La rencontre des premières glaces saisit tous les passagers. Et il y en a beaucoup de glace dans le golfe cet hiver! La coque heurte violemment la banquise, provoquant un fracas impressionnant et soumettant le navire aux vibrations du choc. Peu après le départ, le bateau est saisi en étau dans les glaces. Il recule, reprend son élan et laboure son chemin jusqu’à bon port à travers la masse figée. C’est dans cette ambiance unique que se déroule la croisière, tant le jour que la nuit.
Découverte à motoneige
Les habitués des Îles-de-la-Madeleine savent à quel point le charme de cette destination singulière est directement lié à la personnalité attachante de sa population, qui sait demeurer éminemment sympathique malgré le fait qu’elle soit littéralement envahie par la visite en été. Maintenant, imaginez durant l’hiver, alors que les Madelinots se retrouvent en famille, faire partie d’une poignée de visiteurs reçus par les 250 membres du club de motoneigistes dont chacun s’est investi du mandat de vous faire passer un séjour inoubliable. Attelez-vous et préparez-vous à veiller tard!
Les trois premiers jours aux Îles ont permis de faire le tour du circuit insulaire de sentiers de motoneige tout en découvrant une multitude d’environnements parfois étonnants et de points de vue toujours spectaculaires. Personne ne s’étonne de rouler en forêt sur le continent, mais, alors qu’on s’imagine l’archipel des Îles-de-la-Madeleine plutôt dépourvu à ce chapitre, la motoneige nous fait découvrir un couvert forestier relativement important au Bassin et au Havre-Aubert, essentiellement composé de résineux.
Plus caractéristiques des Îles, les grands espaces dénudés, les longues lagunes, les baies profondes, les falaises ocre et les buttes venteuses éblouissent les nouveaux visiteurs autant que les habitués qui n’ont jamais l’opportunité d’admirer ces panoramas en hiver. On s’amuse à grimper sur les collines rondes d’où le regard porte loin sur l’archipel et vers l’Île-d’Entrée, détachée des autres, qui ressort comme un immense iceberg au milieu de la mer figée.
Sur les lagunes et les baies, c’est un paysage complètement différent qui s’offre aux visiteurs. La longue traversée de la Baie-du-Havre-aux-Basques nous plonge dans un décor arctique dont on s’écarte pour aller voir les cabanes de pêche aux couleurs acadiennes ou pour longer la route 199 et son alignement de poteaux qui fait également partie de l’imagerie typique des Îles. Les phares, plus encore, sont indissociables de notre vision du milieu maritime, et celui de L’Étang-du-Nord est facilement approchable à motoneige.
À ses pieds, tout comme aux environs du phare de l’Anse-à-la-Cabane, la côte ciselée et rougeoyante est d’une beauté saisissante, découpée par le bleu dense d’une mer sur laquelle pointent quelques blocs de glace immaculés. L’église du Bassin ajoute un ton solennel à cette vision fabuleuse. Et on ne peut naturellement manquer de passer par les quais où les bateaux de pêche attendent stoïquement le retour du printemps, juchés sur leurs tréteaux.
C’est beau partout et bien plus encore lorsque le soleil prend le contrôle et nous donne une journée de temps radieux comme il l’a fait. De plus, il y a de la neige comme on n’en a pas vu depuis des décennies. Naviguant parfois dans des profondeurs de neige surprenantes, que les motoneiges projettent en tous sens, nous sommes même allés jusqu’au site touristique par excellence des Îles, La Grave, totalement déserté, alors que le soleil se posait sur les maisons agglutinées au flanc des buttes.
Information : Tourisme Îles-de-la-Madeleine, tourismeilesdelamadeleine.com
Pas de quoi s’ennuyer!
Outre la motoneige, la liste des activités proposées en hiver est beaucoup moins importante qu’en été, mais il y a quand même des choses à faire. Les lagunes peu profondes qui s’étirent sur des dizaines de kilomètres de longueur se transforment en terrain idéal pour le kite snow, le paraski et toutes les variantes de voile-traction hivernale. On peut aussi loger en yourte, marcher, skier et faire de la raquette partout sur la neige durcie, longer les falaises de la Dune-du-Sud et se balader des heures sous le vent, dans un décor grandiose. Pour toutes ces activités, la référence demeure le pourvoyeur Vert et Mer, situé à Fatima.
Les Madelinots possèdent leur réseau de pistes de ski de fond entretenu par les bénévoles du club local et ils le partagent gratuitement avec les visiteurs. Un sentier linéaire de 11,4 km traverse l’île du Cap aux Meules. Un deuxième (5,7 km) se trouve dans le secteur Lavernière et on en trouve un autre à Havre-Aubert.
Des incontournables
Deux événements incontournables ponctuent la saison froide aux Îles : la Mi-carême et la Grande mouvée. Dans la lignée du fameux Mardi Gras de La Nouvelle-Orléans, la Mi-carême se célèbre comme une pause festive à la mi-temps du carême. On la fête sur l’Isle-aux-Grues, en Acadie et aux Îles-de-la-Madeleine, principalement dans la paroisse de Fatima. À la mi-temps du carême, les Madelinots se donnent trois jours de festivités costumées durant lesquelles on fait le tour des maisons avec violons et guitares, et des costumes parfois très élaborés leur permettant de cacher leur identité.
Quant à la Grande mouvée, il s’agit de la période de mise bas des phoques qui débute à la fin février, début mars. Des dizaines de milliers de blanchons naissent alors sur la banquise lorsque cette dernière peut se former. Des forfaits d’observation sont organisés par l’hôtel Le Château Madelinot qui nous amène en hélicoptère au beau milieu de cette mouvance irréelle.