Pour concevoir des motoneiges, les designers doivent aussi les conduire. Pour notre entretien téléphonique, Jacques Mayrand, directeur, design et innovation, Ski-Doo, chez BRP, a interrompu les tests de confort aérodynamique et les essais de produits concurrents qu’il menait à Rimouski.
Car pour dessiner un nouveau modèle, les designers doivent avoir une connaissance quasi intime de l’engin qu’il remplace. «Qu’est-ce qu’on a appris? exprime Jacques Mayrand. Que va-t-on conserver et que va-t-on faire évoluer?»
Les designers suivent aussi de près l’évolution du «langage formel» en architecture, dans le mobilier et dans l’automobile. Même les tendances sociales sont pesées. Car il faut voir loin. La mise au point d’un nouveau modèle prend deux ans, et il demeurera entre cinq et sept ans sur le marché. En neuf ans, comment aura évolué son usager?
Tout ce brassage de données, en collaboration avec l’équipe de marketing, procure une idée directrice… mais pas encore de concept. Cette idée, pourtant, guidera ingénieurs et designers dans l’élaboration de ce que Jacques Mayrand appelle un mechanical package – une ossature mécanique. Elle fournit une série de points de référence périphériques, des «points durs» selon le mot de Jacques Mayrand, qui contraignent l’habillage de la machine.
Pour illustrer son propos, il a choisi la nouvelle motoneige utilitaire Skandic Tundra LT, lancée en 2010. Le designer est fier de préciser que son moteur, le plus économe de l’industrie, ne consomme que 8 litres aux 100 km.
Le modèle précédent était ramassé, haut perché sur des suspensions à leviers qui enserraient un nez camus. Le nouveau projet privilégie plutôt une coque large, bien assise sur des suspensions avant télescopiques, pour mieux faire flotter l’engin dans la neige profonde.
Le mandat des designers a été défini par les trois mots-clés: «Sympathique, tout en étant costaud et radical.» Antinomique? Tout à fait. Et c’est voulu, question d’exacerber la créativité des designers. Car le Skandic Tundra sera le tracteur des neiges de l’agriculteur ou du trappeur, mais également le véhicule de loisir de leur famille. Sa morphologie doit exprimer cette dualité.
«On commence alors à faire la recherche d’idées, avec plusieurs designers de diverses tendances, décrit encore Jacques Mayrand. Certains seront très bons dans les détails et la texture, d’autres dans l’attitude.»
Cette «attitude», c’est le caractère, la présence, l’impact – toutes qualités élusives et indéfinissables.
Chaque designer élabore ses propositions, dans une sympathique émulation. Au contraire d’un fabricant automobile français, où Jacques Mayrand a travaillé et où les designers cachaient leurs esquisses en espérant coiffer leurs collègues au poteau, les designers de BRP n’hésitent pas à s’inspirer les uns des autres et à s’épauler. «C’est cette phase qui procure la plus grande richesse du produit», observe Jacques Mayrand.
Toutes ces influences et ces inspirations convergent en une proposition, comme à la sortie d’un entonnoir. Ce concept sera modélisé numériquement, élaboré en maquettes à l’échelle, puis concrétisé en modèles grandeur nature en argile. Peu à peu, il sera amélioré et peaufiné jusqu’à l’approbation finale.