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Widescape : avis d’intention de proposition aux créanciers — un rachat en vue?

Widescape

À la mi-décembre, plusieurs acteurs de l’industrie ont reçu un document qui n’a rien d’anodin : un avis d’intention de faire une proposition aux créanciers pour Widescape. Dit simplement, c’est une démarche de restructuration encadrée par un syndic autorisé en insolvabilité, dont l’objectif est de gagner du temps et de négocier un terrain d’entente avec les créanciers plutôt que de frapper immédiatement un mur.

Pour les passionnés, les propriétaires et les concessionnaires qui ont misé sur ce produit différent, la question est la même : qu’est-ce que ça veut dire concrètement… et qu’est-ce qui s’en vient?

Pourquoi Widescape avait autant attiré l’attention

On ne se mentira pas : Widescape a réussi quelque chose de rare. Créer un produit qui fait jaser, qui intrigue, et qui se bâtit une communauté rapidement. Le WS250 (leur “stand-up snowmobile”) est un concept qui colle à une réalité moderne : plus léger, plus accessible, plus facile à transporter… et taillé pour les sorties “enduro”, là où la motoneige traditionnelle n’est pas toujours l’outil parfait. Widescape met d’ailleurs de l’avant ce positionnement “compact / aventure” et un produit pensé pour être facile à amener en boîte de pickup, notamment.

Mais lancer un produit accrocheur ne suffit pas.

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Un lancement dans un climat économique… et climatique qui n’a pas aidé

Le timing n’a clairement pas été tendre pour Widescape. Et ici, il faut ajouter un facteur souvent sous-estimé, mais fondamental dans notre industrie : l’hiver lui-même.

Les deux premières saisons suivant l’introduction du produit ont été marquées par ce que plusieurs considèrent comme les pires hivers des 20 dernières années en matière d’enneigement. La saison 2023-2024 a été désastreuse, et 2024-2025 s’est jouée au compte-gouttes, avec des conditions inégales et imprévisibles. Pour un produit hivernal émergent, c’est un contexte extrêmement difficile pour se faire connaître, se faire essayer et, surtout, se vendre.

À cela s’ajoute un climat économique déjà peu favorable. Depuis quelques années, l’industrie de la motoneige traverse une période plus fragile : ralentissement des ventes de véhicules neufs, pression sur les pièces et les vêtements, inventaires plus lourds chez les concessionnaires et consommateurs plus prudents. Dans ce genre de contexte, ce n’est pas seulement l’acheteur final qui hésite — ce sont aussi le financement, la gestion d’inventaire, la pression sur les marges et le coût du capital qui deviennent des obstacles silencieux.

Pour une jeune entreprise comme Widescape, ces facteurs combinés font qu’on peut brûler du carburant très rapidement, même avec un produit qui suscite de l’intérêt et de la curiosité. Si les deux premières années avaient été marquées par de bons hivers de motoneige, avec un enneigement abondant et une industrie en meilleure santé, il est fort probable que la trajectoire aurait été différente.

Dans ce cas précis, la réalité du terrain a rattrapé l’innovation, et ce, beaucoup plus vite que prévu.

Le signal qui inquiétait déjà le terrain : les pièces

Depuis quelques mois, plusieurs concessionnaires rapportaient un irritant majeur : l’accès aux pièces. Quand une marque commence à “étirer” son approvisionnement, les conséquences sont immédiates :

  • délais de réparation qui s’allongent
  • clients frustrés
  • garanties difficiles à gérer
  • concessionnaires pris entre l’arbre et l’écorce

Dans notre monde, on le sait : si l’après-vente craque, la confiance suit le même chemin.

Une promo beaucoup trop agressive : le symptôme d’un besoin de liquidités?

À l’automne, Widescape a tenté une sortie qui a fait sursauter bien du monde : une offre du genre “deux unités pour 10 000 $”, soit une baisse massive par rapport à ce que plusieurs avaient en tête comme PDSF.

Dans l’industrie, une liquidation agressive, ça peut vouloir dire deux choses :

  1. on veut vider un inventaire rapidement
  2. on veut transformer du stock en liquidités (vite, pas “dans six mois”)

Et ça, c’est là où ça fait mal à deux niveaux.

Impact #1 : les concessionnaires.

Ceux qui ont payé leur inventaire “au prix normal” se retrouvent soudainement à expliquer pourquoi la valeur perçue s’est effondrée. Et ça peut aussi créer un enjeu de relation : le concessionnaire a l’air du “mauvais gars”, alors qu’il n’a pas contrôlé la décision.

Impact #2 : les clients qui ont payé plein prix.

Quand tu achètes une machine l’an dernier et que tu vois un rabais qui semble couper la valeur en deux, tu te sens floué. Même si la machine est bonne, l’émotion embarque… et la revente devient un casse-tête.

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L’avis d’intention, c’est quoi exactement?

Sans tomber dans le jargon : un avis d’intention, c’est une procédure qui permet à une entreprise de se protéger temporairement pendant qu’elle prépare une proposition à ses créanciers — une sorte de plan pour dire “voici comment on va régler/compromettre/échelonner ce qu’on doit”. C’est encadré et géré avec un syndic.

Les chiffres qui circulent : environ 13 M$ de dettes

Selon les informations communiquées dans la documentation reçue, on parle d’un dossier totalisant environ 13 M$, dont :

  • 5,6 M$ en dettes garanties et/ou prioritaires
  • 7,7 M$ en créances non garanties

Ce ratio-là est important : plus la portion “non garantie” est grosse, plus il faut convaincre du monde autour de la table… et plus la “sortie” devient souvent une vente d’actifs ou une reprise par un joueur mieux capitalisé.

Rumeurs de rachat : Arctic Cat? BRP/Ski-Doo?

Depuis quelques jours, des rumeurs circulent sur les réseaux sociaux voulant qu’Arctic Cat puisse être intéressée à intégrer Widescape à sa gamme.

Honnêtement, l’idée n’est pas farfelue. Arctic Cat avait déjà exploré des concepts apparentés par le passé (des prototypes et idées de plateforme alternative avaient été présentés aux médias il y a une dizaine d’années). Par contre, il faut rester lucide : Arctic Cat est elle-même dans une phase où chaque décision doit être pesée. Un rachat, même “bon marché”, n’est jamais gratuit : il faut financer la relance, les pièces, le support, la production, et absorber le bruit médiatique.

L’autre piste — et à mon sens la plus logique sur le plan industriel — c’est BRP / Ski-Doo.

Pourquoi?

  • Parce que le réseau est là. Ski-Doo possède un réseau de distribution bien huilé.
  • Parce que plusieurs points de vente powersports qui gravitaient autour des produits hivernaux connaissent déjà le profil de client visé.
  • Parce qu’un gros joueur peut remettre rapidement sur pied :
    • un inventaire de pièces
    • une structure de garantie
    • un cadre d’approvisionnement stable
    • un plan produit crédible

Et si on parle d’un produit conçu/fabriqué au Canada et d’un savoir-faire déjà existant, l’intégration dans un groupe structuré devient soudainement beaucoup plus réaliste que “refinancer” une jeune entreprise dans sa forme actuelle.

Le scénario le plus probable

Je vais le dire comme je le pense : je crois peu à un refinancement qui laisse Widescape continuer exactement comme avant.

Le scénario qui colle le plus au terrain, c’est :

  • une démarche de proposition encadrée
  • puis une porte de sortie via rachat / reprise d’actifs
  • avec relance sous une bannière plus solide (ou une marque préservée, mais soutenue par un autre groupe)

Et là, paradoxalement, l’avenir du produit peut devenir plus prometteur qu’il ne l’était depuis quelques mois.

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Pourquoi le produit ne disparaîtra pas si facilement

Widescape, ce n’est pas juste un “buzz”. Il y a :

  • un fan base
  • des machines sur le terrain
  • une utilité claire (pas besoin de 3 pieds de neige, plaisir immédiat une fois apprivoisé)
  • et même une logique d’exportation (on a vu, sur le plancher d’événements majeurs comme Hay Days, de l’intérêt international pour ce type de produit)

Le concept est trop intéressant pour mourir dans un tiroir.

Ce que ça veut dire pour les propriétaires (à court terme)

À court terme, la priorité, c’est simple :

  • les pièces
  • le support
  • les garanties
  • la valeur de revente (qui risque de rester volatile tant que la situation n’est pas clarifiée)

La bonne nouvelle, c’est qu’un processus structuré augmente les chances qu’une solution arrive (reprise, entente, relance). La mauvaise, c’est que les délais peuvent être stressants pour ceux qui veulent rider maintenant, pas “plus tard”.

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