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Carl Eliason et le toboggan motorisé (partie 2) : les machines qui ont façonné l’histoire de la motoneige

L’histoire du toboggan motorisé Eliason, une machine qui a à jamais façonné l’histoire de la motoneige, se poursuit dans ce deuxième et dernier chapitre de notre série. Après avoir exploré les origines de l’invention de Carl Eliason et de la toute première motoneige Eliason dans la partie 1 (cliquez ici pour la lire), nous nous penchons maintenant sur les années qui ont transformé un prototype artisanal en véritable jalon pour l’industrie.

Dans cet article de conclusion, nous retraçons le virage commercial du toboggan motorisé, l’évolution de ses modèles et l’impact grandissant du design d’Eliason sur le développement des motoneiges modernes.

Eliason Motor Toboggan, phase 1 : Sayner, Wisconsin (1924–1939)

Après la création de la première motoneige Eliason en 1924, la production s’est poursuivie sans interruption pendant 15 ans à Sayner, au Wisconsin. La première machine était relativement petite comparativement aux « motoneiges » construites dans les années 1950 et au début des années 1960 par d’autres fabricants. Il a fallu deux ans à Carl pour construire ce premier modèle, alors qu’il travaillait aussi dans son magasin général.

« Elle intégrait un moteur hors-bord monté à l’avant, refroidi au liquide et développant 2½ chevaux-vapeur, une chenille à entraînement continu conçue avec des pignons et chaînes de vélo, des longerons et crampons en bois, ainsi qu’une bande transporteuse servant de surface portante. Une section de radiateur de Ford Model T était utilisée pour refroidir le moteur hors-bord. Quatre skis constituaient la majeure partie du toboggan. Deux skis plus courts, montés sous l’avant du toboggan et contrôlés par une corde, assuraient la direction. Un siège était installé sur toute la longueur de la chenille flottante. » — Carl Eliason & Co. Inc. © 1998

La machine fonctionnait comme prévu.

Sur les 15 années de production à Sayner, on estime qu’environ 40 unités ont été fabriquées. Les archives indiquent qu’aucune de ces unités n’était identique à une autre.

J’ai eu le plaisir de voir l’Eliason de 1924 original à quelques reprises. Chaque fois, j’étais accompagné et informé par Jona Eliason, la petite-fille de Carl.

Jona a expliqué que les motoneiges n’étaient jamais identiques pour plusieurs raisons. D’abord, les clients de Carl demandaient constamment des améliorations pour la chasse, le piégeage, la pêche ou pour plus de capacité. Ensuite, il n’y avait pas toujours un approvisionnement régulier en moteurs. Il fallait utiliser ce qui était disponible pour les motos, qu’il s’agisse d’un 2-cylindres ou d’un 4-cylindres. Certains offraient de meilleures performances que d’autres. C’est donc la disponibilité — ou son absence — qui déterminait avec quel moteur la prochaine motoneige serait fabriquée.

Sur les anciennes photos appartenant aujourd’hui à la famille Eliason, on peut voir l’augmentation progressive de la taille de certaines unités. La capacité en sièges a augmenté jusqu’à pouvoir accueillir quatre adultes. Les plus petites unités étaient propulsées par un moteur Excelsior 2-cylindres, alors que les plus grandes recevaient un moteur Henderson à 4 cylindres. Comme aujourd’hui, le moteur plus gros (4 cylindres) se vendait plus cher que le 2 cylindres : 550 $ contre 350 $.

Et comme aujourd’hui, le Henderson (Eliason) portait un nom évocateur de vitesse. Carl appelait la machine « Frigid Flyer » et affirmait qu’elle pouvait atteindre des vitesses allant jusqu’à 70 mi/h.

Tout au long de cette période, le concept de chenille et de suspension d’Eliason — issu de son brevet de 1927 — a été conservé sur toutes les unités.

Eliason Motor Toboggan, phase 2 : Clintonville (1940–1946)

Le toboggan motorisé Eliason — motoneige — gagnait en visibilité et en notoriété au-delà du Wisconsin. Pendant 15 ans, il avait été commercialisé pour répondre aux besoins et aux intérêts des chasseurs, trappeurs et pêcheurs.

C’est une commande importante provenant de l’extérieur de l’Amérique du Nord qui a changé la direction de l’invention de Carl et la façon dont ses motoneiges seraient produites. À cette époque, en 1939, une commande de 200 unités en provenance de la Finlande a été reçue. Carl ne comptait alors que neuf employés dans son petit atelier.

Carl a alors contacté la Four Wheel Drive Auto Company (FWD) de Clintonville, au Wisconsin. Il a signé un accord avec FWD en 1940. Carl a accepté de céder ses brevets et de rester le principal consultant de la compagnie FWD.

FWD lui verserait une redevance de 2 % sur toutes les unités fabriquées et vendues. La compagnie assurerait aussi toute la mise en marché, à l’échelle mondiale. Le nom retenu était « Eliason Motor Toboggan ».

FWD et l’expansion commerciale des motoneiges Eliason

« Quatre modèles ont été construits par FWD de 1940 à 1946 à Clintonville, au Wisconsin. Le premier fut le modèle “A”, pratiquement une copie du plus petit design de Sayner de Carl. FWD a utilisé du tube d’acier dans sa construction. Le moteur Indian 45 Scout de 25 hp a été choisi en raison de sa transmission intégrée. Un prototype du modèle “A” fut complété à l’automne 1940 et vingt-trois (23) unités supplémentaires furent construites peu après. […] Le modèle (Eliason) “A” est la première motoneige une seule courroie produite en usine connue. » — Carl Eliason & Co. Inc. © 1998

FWD a rapidement produit des dépliants promotionnels pour le modèle A. L’entreprise a d’abord fait la promotion de la machine sous le nom The Eliason Snowmobile. Ce premier dépliant a été produit en août 1940. Un deuxième dépliant, plus tard en 1940, commercialisait la machine sous le nom The Eliason Motor Toboggan (le toboggan motorisé Eliason). Les machines illustrées dans ces brochures étaient basées sur le prototype du modèle « A ». Il s’agissait du dernier modèle construit par Carl Eliason dans son atelier de Sayner, au Wisconsin.

En plus du modèle A, les modèles B, C et D ont également été fabriqués à Clintonville.

L’année 1942 marque l’introduction du modèle B. Parmi les modifications, on note un réservoir combiné pour le carburant et l’huile, l’ajout d’une boîte à outils, ainsi qu’un siège modifié et un deuxième dossier.

Le modèle C, en 1943, apportait d’autres améliorations. La capacité de carburant atteignait 10 gallons. Le réservoir d’huile était repositionné. Ce nouveau modèle était doté d’un bras de direction de type « tiller », alors que les unités précédentes utilisaient un accélérateur de type poignée tournante provenant des motos Indian. Les modèles B et C ont été utilisés pendant la Seconde Guerre mondiale. Ils étaient légèrement modifiés pour mieux recouvrir le moteur exposé et, parfois, élargis pour améliorer la flottaison.

Le modèle D a été lancé en 1945. Ce fut le tout dernier modèle construit aux États-Unis. La production finale de ce modèle a été transférée à l’usine de la compagnie FWD à Kitchener, en Ontario (Canada). Entre 1940 et 1946, on estime que la production totale de Clintonville s’élève à environ 300 unités.

Phase 3 : évolution à moteur arrière, Kitchener, Ontario (1947–1963)

Après le transfert du modèle D au Canada, un autre changement est survenu. Les toutes dernières unités du modèle D ont été produites avec un nouveau moteur Indian Vertical Twin. Globalement, ce déménagement visait à relancer des ventes ralenties après la Seconde Guerre mondiale et à rapprocher la motoneige Eliason d’un plus grand nombre de clients. Ces dernières unités du modèle D portaient également un « K » à la fin de leur numéro de série.

C’est à Kitchener que les deux derniers modèles Eliason ont été conçus et fabriqués. Avant ces deux modèles, tous les véhicules Eliason avaient un moteur monté à l’avant.

Lorsqu’on jette un coup d’œil rapide à l’histoire de la motoneige, l’histoire est souvent mal interprétée. Les premières motoneiges produites n’étaient pas des véhicules à moteur arrière qui « flottent » sur la neige. Il s’agissait de motoneiges Eliason, avec moteur à l’avant. Ensuite, les motoneiges à moteur arrière ont commencé à être produites en série. Cette évolution a mené à la première Ski-Doo (moteur à l’avant) en 1959, qui a ensuite été copiée par des centaines d’autres fabricants.

Les recherches historiques confirment que toutes les « motoneiges » produites avant les unités de Kitchener d’Eliason avaient un moteur à l’avant, une seule chenille motrice et deux skis sous le toboggan, de 1924 à 1950. C’est donc après l’année 1950 que la division FWD de Kitchener a lancé sa première motoneige Eliason à moteur situé à l’arrière.

« En 1951, le plus petit modèle entièrement nouveau “K-10” a été introduit. Ce nouveau design disposait d’un moteur Salisbury de 6 hp monté à l’arrière, avec une transmission à courroie à vitesse variable. Le poids du moteur était placé directement au-dessus de la chenille, tandis que le conducteur était assis à l’avant. Un volant contrôlait de petits skis de type “flipper”. Les premiers modèles “K-10” se distinguaient par une boîte à outils en forme de croissant, à l’arrière. Parmi les options figuraient un capot avant et un pare-brise. » — Carl Eliason & Co. Inc. © 1998

Le dernier modèle Eliason introduit en 1953 fut le K-12. Il était désormais propulsé par un moteur Briggs & Stratton de 8,5 hp. Il s’agissait essentiellement d’une version améliorée du modèle K-10, mais ce modèle revêt aussi une importance particulière dans l’histoire de la motoneige.

Le modèle K-12 a été fabriqué en continu de 1953 à 1963, sans modifications majeures.

« Ce fut le dernier modèle produit par Eliason et la motoneige dont les futurs fabricants s’inspireraient pour concevoir les machines à moteur arrière. Lorsque Polaris a démarré en 1955, les brevets du Motor Toboggan FWD (de Carl Eliason) arrivaient à expiration. La production du “K-12” commençait à diminuer. » — Carl Eliason & Co. Inc. © 1998.

12 février 1963

La production Eliason se termine abruptement par une lettre datée du 12 février 1963, en provenance de la FWD Corporation, à Clintonville, dans le Wisconsin. Carl y était informé que la compagnie FWD avait vendu ses pièces et ses droits à une autre entreprise canadienne à Waterloo, en Ontario. Le dernier toboggan motorisé Eliason a été fabriqué en 1963.

Distribution canadienne des motoneiges Eliason (1941–1963)

Les archives de la famille Eliason, particulièrement celles consignées par Jona Eliason, montrent une distribution d’un océan à l’autre… à l’autre.

De l’ouest vers l’est, les plus récentes statistiques (juin 2024) indiquent :

  • Colombie-Britannique : 3 unités
  • Yukon : 1 unité
  • Territoires du Nord-Ouest : 2 unités
  • Alberta : 3 unités
  • Saskatchewan : 6 unités
  • Manitoba : 5 unités
  • Ontario : 35 unités
  • Québec : 15 unités
  • Labrador : 3 unités
  • Nouveau-Brunswick : 2 unités
  • Nouvelle-Écosse : 2 unités
  • Terre-Neuve : 5 unités

Le nombre total d’unités répertoriées au Canada est de 82 motoneiges de type toboggan motorisé Eliason.

La motoneige Eliason originale de 1924 existe toujours

J’ai eu le plaisir de rendre visite à Jona à Sayner, au Wisconsin, et de passer du temps avec elle à Green Bay et à Eagle River, au Wisconsin, durant l’été et l’automne 2024. La toute première motoneige Eliason est fièrement exposée avec de nombreuses autres motoneiges Eliason, non loin de leur lieu de naissance. Elles peuvent être admirées aux côtés d’autres marques historiques de motoneiges au musée historique du comté de Vilas (WI).

Ce que j’y ai vu m’a étonné. Je pensais au départ que ce véhicule sur neige n’était qu’un toboggan propulsé par un moteur. Ma perception était erronée. Lorsqu’on est tout près de ces machines et qu’on peut les toucher, on réalise qu’elles ont deux skis à l’avant, une seule chenille à l’arrière et un moteur monté à l’avant. Même si le concept semble rudimentaire, il fonctionnait… et il fonctionne toujours plus de 100 ans plus tard.

À la recherche du berceau de la motoneige : l’héritage Eliason

Comme je l’écrivais au début de ce récit en deux parties, « cet article ne prétend pas savoir qui a été le premier. Il se contente plutôt d’énumérer les faits connus et de s’attarder plus précisément aux motoneiges et toboggans motorisés Eliason, qui ont complété leur parcours de 39 ans avant la large adoption de la motoneige en Amérique du Nord. »

Je croyais en savoir beaucoup sur les motoneiges et leur histoire avant de préparer ce texte. J’avais encore beaucoup à apprendre et j’ai tenté de transmettre ces connaissances aux passionnés qui s’y intéressent.

Je crois que l’énoncé suivant, tiré du résumé de l’histoire d’Eliason, résume bien la situation :

« Les motoneiges modernes sont directement rattachées à la machine originale fabriquée à la main par Carl Eliason en 1924. La dernière série “K” d’Eliason a directement influencé Polaris, qui a, à son tour, influencé Arctic Cat et tous les designs à moteur arrière qui ont suivi au début des années 1960. La Ski-Doo de 1960 a ensuite façonné la nature même de la motoneige, permettant le développement d’activités récréatives.

Les efforts pionniers de Carl Eliason et de la Four Wheel Drive Auto Company (FWD) ont écrit l’un des premiers chapitres de l’histoire de la motoneige. Leurs toboggans motorisés ont laissé les traces d’hiver que nous suivons encore aujourd’hui. » — Carl Eliason & Co. Inc. © 1998

Remerciements

Cet article n’aurait pas été possible sans l’aide, le temps et la contribution considérables de Jona Eliason, la petite-fille de Carl. Son ouverture, sa passion et son intérêt pour ce projet ont été très appréciés et touchants. Je souhaite également remercier Denis Lavoie, de Sledmagazine.com, de m’avoir donné l’occasion d’explorer et de publier cette histoire.

J’ai fait de mon mieux pour ne présenter que les faits historiques disponibles et vérifiés. Tout le monde n’en tirera peut-être pas les mêmes conclusions. Quoi qu’il en soit, la motoneige est importante pour nous tous, et je vous encourage à poursuivre la passion et la ténacité dont ont fait preuve Carl Eliason et maintenant sa petite-fille, Jona Eliason.


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