La dernière récession a été particulièrement pénible pour BRP dont les produits, aussi attrayants soient-ils, ne sont toutefois pas des biens de première nécessité. L’entreprise a dû réduire ses coûts de production, mais affirme avoir maintenu ses dépenses en recherche et développement. Après le lancement d’un roadster particulièrement apprécié, que nous réserve l’inventeur de la motoneige?
En cette journée ensoleillée, il fait une chaleur étouffante sur la passerelle qui surplombe les quatre lignes de montage où les travailleurs de BRP assemblent des motomarines.
Les coques, tantôt noires, tantôt jaunes, progressent lentement d’un îlot de travail à l’autre. Dans ce ballet mécanique minutieusement chorégraphié, on soude, on visse et on colle jusqu’à ce que les machines rutilantes soient emballées dans de grandes pellicules plastiques puis placées dans des boîtes, prêtes à être expédiées.
Ce sont les dernières motomarines de la saison. Dès aujourd’hui, les travailleurs de l’usine numéro un de Valcourt assembleront des motoneiges, un changement rafraîchissant, à défaut de l’être véritablement.
Si BRP se trouve à l’avant des saisons, ce fabricant de véhicules récréatifs est à la remorque de la reprise économique. En fait, pour BRP, la récession n’est pas encore une histoire du passé.
«On sent une légère reprise, mais au Canada et aux États-Unis, c’est très fragile», note son président et chef de la direction, José Boisjoli, en entrevue au siège social de Valcourt.
Ce dirigeant estime que BRP ne retrouvera pas avant 2013 son chiffre d’affaires de 2,8 milliards de dollars d’avant la récession. «C’est une question de temps, peut-être deux ans», précise-t-il.
Âgé de 54 ans, José Boisjoli pilote BRP depuis 2003, soit depuis que cette ancienne division de Bombardier vole de ses propres ailes. Au moment de sa vente à un consortium formé du fonds d’investissement Bain Capital (50%), de la Caisse de dépôt et placement du Québec (35%) et de la famille Bombardier/Beaudoin (15%), les nouveaux propriétaires envisageaient un retour en Bourse dans un horizon de cinq ans, soit en 2008.
Tout allait formidablement bien jusqu’à ce qu’une certaine Lehman Brothers ne déclare forfait, en septembre de cette année-là. Puis, ce fut comme si la terre s’était affaissée sous les roues de BRP.
«En six mois, nos ventes ont chuté de 40%», raconte José Boisjoli, qui n’a jamais vu un revirement aussi spectaculaire en 22 ans chez BRP. Aux États-Unis, 15% des concessionnaires du fabricant, des commerçants indépendants, n’ont d’ailleurs pas survécu à ce choc.
BRP n’étant plus tenue de dévoiler ses résultats financiers, le Québec n’a pas saisi la gravité de la situation. Jusqu’à ce que les mauvaises nouvelles tombent en cascade.
Réduction de la cadence de production et écoulement des inventaires à fort escompte. Licenciement en deux vagues de 2000 salariés. Décotes à la chaîne des agences de notation de crédit, qui s’inquiétaient du fardeau que traînait BRP, l’acquisition de 1,23 milliard de dollars ayant été financée par endettement. Aide d’urgence de 80 millions du gouvernement du Québec (toujours pas remboursée), qui avait été accordée à la condition que les actionnaires réinvestissent dans l’entreprise une somme non dévoilée.
Aujourd’hui, BRP et ses 6000 salariés sortent la tête de l’eau. L’agence Standard & Poor’s vient d’attribuer à l’entreprise la note B (entreprise vulnérable aux conditions adverses, mais qui est capable de faire face à ses obligations financières). Toutefois, une entrée en Bourse, ce n’est clairement pas pour demain.
«Il n’y a pas de date et il n’y a aucune impatience du côté de nos actionnaires, qui nous donnent leur soutien», dit José Boisjoli.
Survivre à une importante récession quand l’on vend de coûteux joujoux pour adultes, ce n’est pas rien. Un fabricant peut y arriver en sabrant partout et en ne pensant pas aux lendemains. Mais BRP a refusé de compromettre son avenir en rognant sur son développement.
«On a arrêté pendant deux ans nos investissements en infrastructures, mais on a protégé nos investissements en R&D», dit José Boisjoli, en précisant que l’entreprise y consacre 4% de son chiffre d’affaires.
C’est apparent dans le nouveau Centre de design et d’innovation Laurent-Beaudoin, qui se trouve entre la maison patrimoniale du fondateur Joseph-Armand Bombardier et le siège social de BRP. Dans le sous-sol qui a toutes les allures d’un bunker anti-espionnage industriel, des sculpteurs façonnent de la glaise synthétique pour donner forme à des prototypes de véhicules futuristes. Tous ces modèles étaient couverts de toiles lors du passage de La Presse, pour que personne ne puisse les apercevoir.
«Cela nous permet de prouver la viabilité de nos concepts et de nos idées les plus folles, dit Denys Lapointe, premier vice-président, design et innovation. Dans un monde idéal, poursuit-il, un nouveau véhicule viendrait prendre la relève dès qu’un autre montre des signes d’essoufflement.»
C’est de cet effort de recherche qu’est né le roadster de BRP, Spyder de son nom commercial. Il s’agit d’un curieux véhicule à trois roues, à mi-chemin entre la voiture décapotable et la moto, avec laquelle il est classé. Lancé en 2007, le Spyder a représenté 8% des ventes de BRP en 2010. Et les ventes de 2011 s’annoncent déjà 50% meilleures que celles de l’an dernier.
«Un jour, nous vendrons plus de Spyder que de motomarines et peut-être même de motoneiges», prédit José Boisjoli. Comme BRP affirme détenir près de 50% du marché de la motomarine (100 000 unités par an) et de la motoneige (120 000 unités par an), ce dirigeant envisage une production de plus de 50 000 unités. C’est d’ailleurs assez facile d’y croire à Valcourt, où l’on croise un Spyder à tous les coins de rue!
En lançant le Spyder, BRP a accompli un vieux rêve, soit celui de quitter les terrains accidentés et les lacs pour rouler sur la grande route. Cet accomplissement n’est pas que symbolique. En offrant plus de produits à ses concessionnaires, comme le nouveau véhicule côte à côte Commander, BRP peut espérer entretenir une relation plus étroite avec ces commerçants.
«On veut convaincre les concessionnaires qui ne vendent que du BRP que nous avons une gamme de produits assez large qu’ils peuvent en vivre», dit José Boisjoli.
C’est particulièrement vrai des concessionnaires des régions chaudes qui n’ont que faire des motoneiges. Ils sont de plus en plus nombreux, alors que Bombardier cherche à réduire sa dépendance envers le marché de l’Amérique du Nord et à s’implanter dans les pays émergents les plus riches.
Ainsi, les ventes à l’extérieur du Canada et des États-Unis, qui représentaient 18% du chiffre d’affaires en 2003, ont doublé à 36% l’an dernier. «Et si notre plan d’affaires se déroule comme prévu, ce sera 50% d’ici quatre ans», dit José Boisjoli.
Le grand patron de BRP revient tout juste de Dubaï. Cet ingénieur mécanique de formation, qui teste tous les bolides que son entreprise met au point, a pu rouler en Commander dans le désert. De son expérience dans les dunes avec ce véhicule côte à côte qui ressemble effectivement à une «dune buggy», il a conservé un souvenir vif. «C’est le fun, c’est comme faire de la motoneige», dit José Boisjoli, le regard encore brillant.
C’est Joseph-Armand Bombardier qui n’en reviendrait pas.
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BRP EN UN COUP D’OEIL
– Plus de 6000 employés, dont 2500 à Valcourt et à Sherbrooke
– 7 usines au Canada, aux États-Unis, au Mexique, en Autriche et en Finlande
– 3 centres de R&D à Valcourt, à Sherbrooke et à Gunskirchen, en Autriche
– 3500 concessionnaires à travers le monde
– 50%: part du marché de la motoneige et de la motomarine que Bombardier affirme détenir