Ma première rencontre avec la motoneige remonte à la fin des années 70, j’avais alors un peu plus de dix ans. Fils d’une famille de banlieue très « banlieusarde », un ami de ma rue m’avait alors invité à passer le weekend à son chalet. Il s’agissait d’une fermette ancestrale, chauffée au poêle à bois, située dans un rang perdu et valloneux du compté de Bellechasse, plus précisément en retrait d’un petit village nommé Arma. Entre autres choses, nous avons mangé des crêpes sirop-d’érable cuites sur le poêle à bois, mais surtout, nous avons passé le weekend, soirées incluses, à nous promener avec une motoneige bombardier orange, un peu « pout pout », mais suffisamment agile pour nous faufiler dans les étroits sentiers des boisés environnants, et assez rapide pour faire lever la neige poudreuse dans les champs des cultivateurs. Ce weekend est resté gravé dans ma mémoire comme un trésor d’enfant enfoui au pied d’un arbre noble. À 28 ans, j’ai déterré une partie du trésor d’enfant pour réaliser une première partie de mon rêve, soit l’acquisition d’un chalet en montagne, dans le Cantons-Unis-de-Stoneham-et-Tewkesbury. À 38 ans, cet automne, j’ai réalisé la seconde partie de mon rêve, l’achat d’une motoneige.
Loin du bombardier orange de mon enfance, j’ai vite constaté que les motoneiges d’aujourd’hui n’ont rien à voir avec celles d’antan utilisées dans les cabanes-à-sucre des mon oncles. Le choix est vaste, les prix sont élevés, mais la mécanique est des plus sophistiquée. Après avoir mis sur table un certain nombre de critères dont je vous épargne l’énumération, le choix familial s’est arrêté sur un Bombardier Expédition 600 H.O. SD.I., malgré les « hé ho, c’est trop gros pour un débutant, tu vas te prendre partout avec ça, ça pèse une tonne, ben voyons donc, kessé que tu vas faire avec ça une motoneige, ça pue, ça pollue, ça fait du bruit, c’est pas écolo, c’est toujours au garage », et j’en passe des plus salées.
Or donc, la première mini expédition a eu lieu ce weekend, en compagnie de Marc Thibeault, l’un des contributeurs du Magazine. Destination, les sentiers de la Zec Batiscan-Nelson.
Marc est arrivé très tôt à notre chalet, samedi matin, avec son immense, son incommensurable remorque Altrek 2 places avec toit couvert. Nous avons chargé le BRP Expédition à côté de son nouveau et non le moindre BRP MXZ 800R Power TEK. Petit voyage de couples en perspective, lui accompagné de sa douce, moi de la mienne. Nous sommes arrivés à destination vers 11h par ce beau samedi légèrement ennuagé, frais, mais pas trop. Descente des motoneiges du colossal Altrek. Démarrage des motoneiges et première petite virée de l’Expédition dans le chemin, rien que pour faire un petit essai. « Bâtinsse, ça avance ces petits beus là ». Petite pause pipi dans la foret, enfourchement de nos culottes, casques, balaklava, Sorels glacier, bref, le scaphandre de circonstance. L’opération déguisement étant terminée, les cosmonautes de la neige étaient fins prêts à affronter la vallée et ses montagnes, armés de nos montures à chenilles prêtes à dévorer les sentiers.
Démarrage. La douce derrière, moi devant. Marc passe en premier, je le suis d’assez près, mais pas trop. Je répète dans ma tête sa leçon de vie #1, « Garde ta droite ». Je profite de cet instant pour baptiser cette maxime, « premier sacrement de la motoneige ». Là, je me sens assez bizarre. D’une part, je me rends compte que je parviens à suivre Marc assez bien, c’est même facile. On ne va pas très vite, mais on va quand même vite. Donc dans le réel, tout est déjà assez sous contrôle. Mais le bizarre vient du fait que ce premier instant réel constitue, banalement, l’aboutissement de quatre mois d’attente, de rêveries, d’inquiétude, de recherches, de questionnement, mais surtout, d’innombrables dépenses pour acquérir une galaxie de bébelles dans laquelle la motoneige constitue un corps céleste à peine perceptible. Cet instant d’égarement étant passé, pas le choix, faut suivre celui qui mène.
La première heure s’est donc bien passée, et s’est avérée assez plaisante même. Est venue le temps de faire enfourcher la monture par la copilote en titre, Nadine. Je me disais d’entrée de jeu, « ça va bien aller, si elle a pris moins de dix ans pour dompter l’homme de sa vie, ce ne sera qu’une question de minutes pour la motoneige ». En fait, ça en aura pris une trentaine. Pas si mal. Après un deuxième arrêt au puit, nous avons convenu mutuellement que conduire, c’était cool. Mais le meilleur restait à venir.
En reprenant le volant, l’apprentissage du premier round avait déjà fait son oeuvre. C’est un peu comme si, de plus en plus, la motoneige et moi ne faisions qu’un. Ce n’étais pas parfait, mais la symbiose s’installait, prenait sa place entre moi et la machine. Plus naturellement, les virages se négociaient en douceur, Plus de vitesse, plus de sensation forte, démarrages moins brusques, les violons commençaient à s’accorder et l’orchestre s’est mis à jouer la symphonie de la beauté. Je conduisais, j’observais le paysage, les montagnes, la neige, le sentier. La blancheur de la neige (assez abondante malgré tout!). J’entendais cette motoneige, puissante, qui se frayait sans difficulté un chemin dans cette neige, malgré les vallons, les tournants. Nous étions seuls, dans ce grand parc d’une grand beauté (j’insiste là dessus). Expérience d’une grande intensité.
La belle reprend le volant et rien qu’à sa conduite, je ressens qu’elle ressent presque la même chose que moi, à une variante près. Elle, ce qui l’intéresse, ce n’est pas le paysage, mais la vitesse. Faire vibrer le 600 H.O. S.D.I. Je m’arrête un instant pour faire hommage aux ingénieurs de ce moteur. Je ne suis pas expert (pas encore du moins) en motoneige, mais tout comme un néophyte sait qu’une Ferrari c’est une Ferrari, un 600 SDI, c’est un 600 SDI. Point. Un petit moteur très élégant sous le capot, souple, fougueux, on sent toujours qu’il veut en donner plus. Il déménage ce colosse de châssis Yéti comme le ferait le coeur d’un gros « beef » de la NFL qui court comme une gazelle malgré ses 6pieds 5, 374 lbs. Fin de la parenthèse.
Alors la journée se passe comme cela, on s’échange la conduite, on arrête quelques minutes pour jaser avec nos compagnons. On repart, on arrête. On repart, on arrête. Arrive un moment culminant, au sommet de la montagne, le bout du monde je crois, 3 pieds de neige et plus chaque bord du sentier, où Marc se met à douter. Je le vois dans ses yeux, c’est certain. Je le sens, le sang Saguenéen reprend le dessus sur 3 années d’immersion Québec intensives. Il me dit, les yeux pointus, « ta grosse patente là, c’est tu supposé aller dans neige ça? Amène ça icitte, on va voir si ça va dans neige, ça. » Quelques pirouettes plus tard dans la poudreuse, le chevalier Valinois nous revient, deux ou trois branches de sapin entre les dents, le windshield tout blanc et des cocottes d’épinette se berçant sur les skis (raquettes?) de l’Expédition. « Ça va dans neige, ça. » qu’il nous dit.
Deux heures de l’après-midi, le temps était venu de rebrousser chemin. Déjà. Le retour s’est bien passé, aussi plaisant que l’allée. On remonte les motoneiges dans le monumental Altrek. On enlève le déguisement, les cosmonautes redeviennent des humains terrestres. Retour à la maison avec un petit pré-souper au Normandin à mi-chemin.
Voilà, en résumé, ce qui constitue ma première vraie journée de motoneige. Une lune de miel bien réussie avec beaucoup de plaisir et d’excitation. Déjà, on discute d’une prochaine randonnée, destination l’Étape. Un peu plus tard en janvier, organisation d’un raid pour débutants à destination du Manoir Richelieu avec des « gars du bureau ».
Je voulais partager mon expérience avec vous tous qui êtes beaucoup plus expérimentés que moi, mais qui avez aussi vécu, un jour ou l’autre, une lune de miel. J’en viens qu’à me demander pourquoi ce sport a si mauvaise presse. Les machines sont si belles et précises, c’est si facile de bien les utiliser. C’est étrange à dire, mais à quelque part, je trouve qu’elles font honneur à l’immensité du territoire Québécois. Un si grand territoire qui se parcourt à dos d’une petite machine de 500 livres (disons 700 pour mon béluga d’Expédition), directement sur la neige avec un minimum de préparation (en passant, aucune avec mon béluga!). Aucune saleté ne reste sur la neige après le passage. Une mince précipitation de neige et les traces disparaissent. Je me demande pourquoi en veut-on tellement à ces petites machines si élégantes de nos jours, des joyaux d’ingénierie québécoise, alors qu’on ne dit rien sur nos autoroutes crasseuses, pleines de calcium, hyper achalandées, bruyantes, et bourrées de pancartes? Trouvez-vous que le décor est beau, vous, sur la 20 en direction de Montréal? Est-ce bucolique? Moi, à dos de mon Expédition, j’ai admiré la Zec Batiscan-Nelson en passant au centre des sentiers de terre et en laissant une trace à peine perceptible. Tout était silence autour de nous. Tout était beau, d’un blanc immaculé. Nous étions dans une forme de communion respectueuse avec le territoire de la Zec Batiscan-Nelson. Alors j’en arrive à deux conclusions possibles. Ceux qui critiquent la motoneige et qui militent contre avec acharnement, ou bien ce sont des gens mal informés qui ont une vision dénaturée de ce sport à partir d’observations biaisées, ou bien ils sont jaloux de ceux qui ont du plaisir avec ce sport d’hiver, qui on hâte à l’hiver et qui en apprécient sa beauté. Car le Québécois, rappelons-le, autant peut-il accomplir de grandes choses, autant est-il facilement allergique au succès, plaisir et bonheur de son voisin Je pense que la réponse se situe entre les deux.
Sur ce, bonne saison à tous…