LES OUVREURS DE MONTAGNE
Dans toutes les régions du Québec, on rencontre des gens persuadés que leur coin de pays est le plus beau du monde. Combien de fois, en voyageant à motoneige, vous est-il arrivé de discuter avec des résidents des endroits que vous visitiez, farouchement convaincus de vivre dans la plus extraordinaire des régions? Souvent, vous ne les avez pas crus parce vous êtes vous-même béni des dieux dans votre propre région et certain que le bout du bout, c'est chez vous. Je pense aussi comme ça, mais les Gaspésiens du Club Tourelle ont réussi à ébranler nos convictions tant leur sentiment d'appartenance est entier et tellement leur certitude est forte. La fierté est le dénominateur commun de tous ces Gaspésiens et Gaspésiennes qui portent leur pays dans leur coeur et dans leur chair.
«Nous sommes dans la plus belle région de motoneige du Québec », clament-ils sans pudeur et sans le moindre doute.
«Nous avons de la neige en masse, une des saisons hivernales les plus longues au Québec, des montagnes à couper le souffle et un territoire vraiment spectaculaire. En plus, nous travaillons fort pour donner à nos membres et aux visiteurs des sentiers de la plus grande qualité possible. » Que demander de plus?
Surtout que le Club Tourelle est loin d'être ce qu'on pourrait appeler un « gros club ». Effectivement, on y dénombrait 80 membres la saison dernière et 73 en 2002. Quant à son territoire, qui se situe au nord de la péninsule gaspésienne, il compte 120 kilomètres de sentiers qui sont certainement parmi les plus difficiles à entretenir de tout le réseau à cause de ses escarpements extrêmes et des chutes de neige importantes. Bien des voyageurs comparent d'ailleurs le secteur aux monts Valin en matière de précipitations.
Les hautes montagnes font partie intégrante de cet environnement situé à l'arrière des municipalités riveraines de Mont-Saint-Pierre, Mont-Saint-Louis et Tourelle, entre la mer, la réserve faunique des Chic-Chocs et le parc de conservation de la Gaspésie. Tous les vacanciers qui ont fait le tour de la Gaspésie savent ce que l'on veut dire quand on parle de montagnes dans le secteur de Mont-Saint-Pierre, connu internationalement comme site de pratique du vol libre et du parapente.
Gaston Dugas, le président du Club Tourelle, explique que la saison commence normalement à la mi-octobre, dès que la période de la chasse se termine. On vit ici un problème observable partout en Gaspésie et dans les régions côtières: c'est que la neige apparaît plus tard et reste difficilement au sol sur le bord du Saint-Laurent à cause de la mer qui tempère le climat et des vents qui soufflent fort. Mais dès qu'on va vers les montagnes, qui sont vraiment toutes proches, on trouve de la neige à profusion.
LES DÉBUTS
« J'étais là tout au début », explique Gaston Dugas qui habite Tourelle, le village voisin de Sainte-Anne-des-Monts. « J'ai participé à la fondation du Club Mont-Loqan qui s'étendait de Cap-Chat à Sainte-Anne-des-Monts. A l'époque, c'était extrêmement compliqué de faire tout le tour de la Gaspésie à motoneige puisqu'il fallait souvent emprunter le bord de la route et le bord de mer pour contourner les falaises de notre secteur. Lorsque des touristes arrivaient, surtout des Américains, il se trouvait toujours quelqu'un pour les escorter gracieusement jusqu'au prochain sentier. C'était donc mon rêve que de voir un jour un circuit de sentiers qui fasse vraiment le tour de la Gaspésie. J'y croyais tellement que j'ai prêté de l'argent sans intérêts au nouveau club pour qu'il s'équipe d'une surfaceuse. Mais comme le sentier s'arrêtait à Sainte-Anne-des-Monts, je devais remorquer ma motoneige jusque-là pour en faire. Plus tard, vers 1988, il s'est formé un club à Tourelle dont le territoire partait de Sainte-Anne-des-Monts pour aller jusqu'à Mont-Louis. Mais pour pouvoir être membre de la Fédération, il fallait se connecter avec La Cache par le sentier no 595. On grattait toute la semaine avec un BR 100.Il fallait aimer ça! »
Ce nouveau club, et les sentiers qu'il a développés, a ouvert la voie au tourisme tout en stimulant la création d'emplois dans une région qui en a désespérément besoin et en donnant aux motoneigistes locaux un terrain de jeu intéressant.
LA SITUATION ACTUELLE
Les dirigeants du Club Tourelle, qui ont tant donné pour leur club, font aujourd'hui un constat inquiétant : « Les bénévoles sont brûlés! » Pourtant, le club peut toujours compter sur une solide équipe d'administrateurs dont une secrétaire très spéciale, Marie-Renée Normand, qui n'est pas motoneigiste mais qui aime se dévouer dans ce milieu. Son mari n'est pas motoneigiste non plus, mais il passe l'été à travailler à l'aménagement des sentiers. Le club doit donc recruter des bénévoles en dehors de la communauté motoneigiste.
Une fusion avec un club voisin, Sainte-Anne-des-Monts par exemple, serait-elle une solution à envisager? Pas nécessairement, selon les administrateurs, à cause des distances qui sont trop grandes entre les municipalités. Toutefois, il n'est pas impossible que l'épuisement et la rareté des bénévoles puissent forcer le mouvement.
NEIGE ET MONTAGNE
D'autre part, lorsque l'équipe du Club Tourelle commence à parler des extraordinaires tempêtes que connaît la Gaspésie et des incroyables difficultés que cela entraîne pour l'entretien des sentiers, les histoires deviennent savoureuses. Elles parlent de surfaceuses presque disparues sous la neige en plein mois de novembre ou d'autres qui ont failli dévaler les montagnes tant la neige bouchait la vue… Soixantehuit heures pour faire la première trace en début de saison! « La neige est née ici! », s'exclame le président. La signalisation du club est à huit pieds du sol et on la perd de vue. Tourelle est également le seul club au Québec à avoir un sentier qui passe au milieu d'une zone d'avalanches officiellement répertoriée par Avalanche Canada. Cela n'empêche pas qu'une bonne partie des sentiers fait 22 pieds de largeur alors que le reste a au moins 16 pieds.
Indéniablement, les sentiers du Club Tourelle sont des sentiers de montagne que le club a souvent dû ouvrir ou élargir à flanc de falaise à grands coups de bulldozer. Certaines sections sont bordées de précipices vertigineux comme on n'en voit nulle part ailleurs. La conséquence pratique de cette situation se traduit par des coûts de carburant beaucoup plus élevés, par des temps d'entretien plus longs et des bris mécaniques plus fréquents.
C'est ce que confirme Gilles Ouellet, un mécanicien de métier, passionné de motoneige et membre du C.A., qui consacre beaucoup de son temps de son temps depuis 1988 à l'entretien de la surfaceuse. Le plus souvent, les réparations doivent se faire à l'extérieur, au froid et au vent, puisque le club n'a pas de garage. Cette situation devrait d'ailleurs être corrigée prochainement. Les opérateurs travaillent généralement la nuit et ne peuvent se servir du téléphone cellulaire dans la région. Ils ont donc recours au radiotéléphone, un système utilisé par l'industrie forestière, pour communiquer en s'orientant vers les différentes tours de retransmission du secteur.
Malgré tout, lorsque Sophie Pelletier, Marie-Renée Normand, Bruno Rioux, Gilles Ouellet, Yvan Lévesque, Pierre Coulombe et Gaston Dugas parlent de leur région, de leur club, de leurs sentiers et de leur amour de la motoneige, une lumière s'allume dans leurs yeux, ce qui en dit long sur la passion qui les anime.
« On vous amène demain voir nos sentiers », conclut Sophie Pelletier avec une assurance qui ne trompe pas. Elle est certaine de son coup.
La fierté a un club. Ce n'est pas le plus gros, ce n'est pas le plus riche, mais il semble qu'il se trouve sur le plus beau territoire du monde et, chose certaine, ses dirigeants ont du coeur et du courage.