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Motoneige hors-piste : Motoneigistes en liberté!

Motoneige hors-piste : Motoneigistes en liberté!

Fini, les sentiers! Une nouvelle génération de motoneigistes est à la recherche de poudreuse et de liberté. L’explosion du nombre de motoneiges hors piste crée toutefois des tensions sur les terres privées et dans les secteurs protégés. Incursion dans le monde des cowboys des neiges.

En cette matinée de mars, les monts Valin sont submergés de neige folle. Au cours de la dernière semaine, trois tempêtes en ont déversé 117 cm dans ce massif montagneux, à 35 km au nord de Saguenay. Des conditions qui font le bonheur des huit motoneigistes que je rejoins à l’Auberge du km 31, en pleine forêt boréale.

Plan de la journée: trouver des secteurs propices au tournage d’un film amateur avec des casse-cous du Saguenay et de la région de Québec. En les voyant enfiler plastron, jambières et protecteur cervical, je comprends que la sortie ne sera pas de tout repos. Et les motoneiges qu’ils enfourchent n’ont rien du modèle standard. Avec leur chenille surdimensionnée munie de crampons de 7,5 cm (3 po) et leur moteur de 165 chevaux, elles sont conçues pour circuler hors des sentiers battus. «On a la puissance d’un moteur d’auto entre les jambes», signale Jean-Daniel Truchon, propriétaire de l’entreprise Destination Monts-Valin, qui sera notre guide.

Dès le départ, les adeptes testent leurs machines dans l’épaisse poudreuse, surfent sur la neige et font des virages abrupts. Chaque petite butte est un prétexte pour se propulser dans les airs. Après avoir traversé quelques lacs, Raphaël Boily, 21 ans, pointe du doigt un endroit qui se prête bien aux acrobaties. Maxime Fortier, le caméraman, se met en place pour filmer la scène. Puis, Raphaël s’élance… à 5 m dans les airs, avant de retomber 10 m plus loin. «J’en veux encore plus!» lance le casse-cou.

À force de tester les limites du véhicule, des bris surviennent, qui peuvent coûter quelques milliers de dollars! Et parfois, ce sont les conducteurs qui paient le prix de leur témérité: sur la trentaine d’accidents mortels de motoneige enregistrés chaque année, près de la moitié se produisent hors sentiers.

«Il faut être un peu cave pour prendre 16 000 dollars [le prix d’une motoneige hors piste] et aller le tirer dans le bois», lance Anthony Brisson avec ironie. Sans compter que, tous les ans, on doit payer près de 1 000 dollars pour l’assurance, l’immatriculation et les droits d’accès aux sentiers. Avec l’essence, l’entretien et les voyages, une saison de motoneige peut coûter jusqu’à 6 000 dollars, estime Raphaël Boily.

Malgré les coûts exorbitants, ce sport est en pleine croissance au Québec depuis 2008. L’essor est si important que les adeptes représentent désormais 50 % de la clientèle de l’Auberge du km 31. Et les modèles hors piste comptent pour 60 % des ventes chez certains concessionnaires gaspésiens.

Les entrepreneurs en profitent. En 2010, Alain Thibeault, militaire retraité de 45 ans, lançait Extrême Chic-Chocs, la première entreprise de guide de motoneige hors piste à voir le jour en Gaspésie. Dès ses débuts, il reçoit plus de 200 clients, alors qu’il en attendait une trentaine. Aujourd’hui, il en accueille près du double, même s’il a désormais plusieurs concurrents. «Au moins 2 000 motoneigistes se font guider en Gaspésie chaque hiver, avance-t-il. Les retombées économiques sont importantes, parce que ce monde-là, ils ne carburent pas à l’eau et aux “pinottes”.» Selon lui, ils dépensent en moyenne 1 000 dollars par séjour pour l’essence, l’hébergement et la restauration.

Alors que la majorité des motoneigistes respectent les règles, certains autres, tels des cowboys à la conquête du Far West, se croient au-dessus des lois en forêt. Ils se promènent à leur gré sur des terrains privés ou dans des territoires protégés, et causent parfois des bris. Les conflits d’usage se multiplient.

Les monts Groulx, situés à 335 km au nord de Baie-Comeau, sont une destination de rêve pour les adeptes du hors-piste. Sauf qu’ils circulent dans la réserve de biodiversité Uapishka, où la pratique de la motoneige est interdite presque partout au-delà de 800 m d’altitude, car sur les sommets dénudés se trouvent des espèces rares et fragiles. Selon Philippe St-Pierre, motoneigiste de Fermont qui connaît bien le secteur, ils sont désormais plus de 1 000 amateurs à fréquenter la réserve. Au grand désarroi de Michel Denis, président de la Société des amis des monts Groulx, un regroupement de randonneurs et de skieurs hors piste qui lutte pour la conservation et la mise en valeur du massif montagneux. «Les motoneiges de montagne sont incompatibles avec l’objectif de préservation de la biodiversité, souligne-t-il. De plus, ça crée un conflit d’usage avec les randonneurs, en quête de silence et de découverte.»

Des projets commencent toutefois à émerger pour favoriser une pratique plus éthique du sport motorisé. Au pied des monts Groulx, le Refuge du prospecteur, qui accueille une forte proportion de motoneigistes, a été acheté par la Réserve mondiale de la biosphère Manicouagan-Uapishka et le Conseil des Innus de Pessamit. Il a été transformé en station de recherche, qui offre aussi des forfaits d’hébergement. Tous les motoneigistes doivent désormais être guidés pour circuler au-delà de 800 m d’altitude.

Philippe St-Pierre et trois autres investisseurs souhaitent pour leur part développer le secteur non protégé des monts Groulx. «Ce sont les Rocheuses de l’Est. Dès qu’on pourra en faire la publicité, c’est ici que les gens viendront», croit le jeune entrepreneur de 23 ans.

Les conflits sont encore plus fréquents près de Québec, où les endroits sont rares pour s’amuser hors piste. «On vit l’enfer avec ces gens-là. Ils brisent tout», souligne d’emblée Jacques Laliberté, régisseur des forêts de la Seigneurie de Beaupré, une vaste propriété privée de 1 600 km2 appartenant au Séminaire de Québec, où l’on fait de la récolte forestière et de la villégiature.

Dans les années 1980, la Seigneurie a permis l’aménagement d’un sentier de motoneige de 180 km entre Stoneham et Saint-Hilarion. Mais depuis 2010, les véhicules hors piste causent des cauchemars aux gestionnaires: les bris dans les plantations d’arbres sont en hausse et les pertes se chiffrent à plusieurs dizaines de milliers de dollars par an. Une plantation de 10 hectares a d’ailleurs été détruite en 2015. «On est écœurés de ces gens qui n’ont aucun respect pour la propriété d’autrui», dit Jacques Laliberté, qui souhaite une plus grande surveillance policière.

Si les amendes sont élevées — de 450 à 900 dollars pour avoir circulé sur un domaine privé —, il est difficile de faire appliquer la loi sur un territoire de 160 000 hectares où se trouvent plus de 2 500 km de chemins, signale le lieutenant Jason Allard, de la Sûreté du Québec.

«La motoneige génère deux milliards de dollars de retombées au Québec, renchérit M. Laliberté. C’est au gouvernement d’agir, car c’est lui qui en bénéficie le plus.» Si rien n’est fait, les gestionnaires de la Seigneurie envisagent de fermer l’accès au sentier de motoneige, coupant ainsi le lien entre Québec et Charlevoix.

Perdre des revenus est une chose, mais la perte de données scientifiques est inestimable, déplore Hugues Sansregret, directeur des opérations de la Forêt Montmorency, un lieu d’enseignement et de recherche de 412 km2 appartenant à l’Université Laval. Pour les besoins des 50 projets de recherche en cours, des dispositifs y ont été installés un peu partout. «Si une motoneige passe et coupe un fil, on perd nos données», note-t-il.

À l’hiver 2015, un groupe de motoneigistes est venu s’amuser sur le lac Laflamme. Les émanations de leurs machines ont créé des conditions s’apparentant à une pluie acide, en plein milieu de l’hiver. «C’est un des deux seuls lacs où l’on fait ce genre d’analyses en Amérique du Nord et on a perdu une saison complète de données à cause de cette incursion», ajoute Hugues Sansregret.

Encadrer les électrons libres de la motoneige sera très difficile, selon Christophe Dandurand, vice-président de l’Association des motoneigistes du Québec. «Il y a un civisme de base à adopter. Moi, je m’amuse énormément tout en respectant les terrains privés et les interdictions», lance l’amateur de hors-piste, qui croit que les autorités instaureront des règlements contraignants si la tendance se maintient.

«Les délinquants ternissent l’image de la motoneige, soutient Denise Grenier, présidente de la Fédération des clubs de motoneigistes du Québec (FCMQ). On ne peut pas se déplacer de façon anarchique sur le territoire et risquer de perdre des droits de passage. Il faut respecter les terrains privés, la faune et la flore. La motoneige est une activité trop importante pour l’industrie touristique.»

Pour développer le sport de manière respectueuse, la FCMQ lance cet hiver deux projets-pilotes, l’un dans les Chic-Chocs, en Gaspésie, l’autre dans Charlevoix, où des zones ont été désignées et des cartes tracées pour la pratique de la motoneige hors piste. De plus, une demande a été déposée auprès du gouvernement afin d’obtenir des droits d’utilisation du territoire dans toutes les régions du Québec, dans le but d’offrir des parcs à neige aux adeptes. Reste à voir si ces parcs seront assez grands pour satisfaire les cowboys des neiges.

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